Le chamanisme

 

Le savoir botanique chez les Shipibo-conibo
L'ayahuasca et les plantes maîtresses

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Texte de Romuald LETERRIER , extrait de son ouvrage "L'enseignement de l'ayahuasca"

Comme chez la plupart des ethnies du bassin de l'Amazone, les chamans et Curanderos Shipibo-conibo détiennent une connaissance très aboutie des potentialités de leur environnement forestier. Ainsi au cours du temps les chamans ont réalisé un inventaire exhaustif des plantes médicinales et psychotropes de la Selva. Certains d'entre eux ont compulsé ce savoir sous la forme d'ouvrages. C'est le cas de Guillermo Arévalo Valéra avec son ouvrage en espagnol "medicina indigena "las plantas medicinales y su beneficio en la salud shipibo-conibo, qui relate et inventorie les connaissances en ethnobotanique des Shipibo.

L'ayahuasca

Nishi - Liane Ayahuasca (Banistériopsis Caapi)

La plante mère des chamans est la liane Ayahuasca (Banistériopsis Caapi) qui, mélangée selon une recette traditionnelle avec des feuilles de Chacruna (psychotria viridis), donne son nom au breuvage psychotrope utilisé lors des cérémonies nocturnes. À l'opposé de toute motivation récréationnelle, l'ayahuasca est toujours utilisée à des fins curatives. Soit pour acquérir des informations sur la pathologie des patients (diagnostic, remèdes, causes et effets de la maladie) et pour visualiser les énergies invisibles qui entrent en jeux dans la médecine énergétique des curanderos. Visualisation de l'énergie vitale des patients et actions contrôlées sur ces énergies subtiles afin de restaurer la santé par diverses manipulations rituelles, fumigation de tabac sopladas, projection sur le corps d'eau de fleurs agua florida et émissions de chants curatifs icaros qui canalisent et dirigent les énergies.
Un des autres aspects curatifs du breuvage est son action purgative. Communément surnommée la purga par les curanderos, l'ayahuasca possède la faculté de purger l'individu tant physiquement que psychologiquement. Ainsi lors d'une prise du breuvage, les premiers effets qui se font ressentir sont de pénibles sensations corporelles, nausées et vomissements qui font ensuite place à des perceptions internes des plus étranges. Parmi celles-ci la sensation d'être habité par une entité qui scrute votre organisme dans le moindre de ses détails à la recherche de divers déchets psychophysiologiques. En effet, l'action de l'ayahuasca semble révéler et réorganiser tout un ensemble de problèmes psychiques profondément engrammés sous forme de mémoires somatiques corporelles. Ainsi, les vomissements et diarrhées semblent évacuer de l'individu des " toxines " physiques et psychologiques.
Dans une même logique un certain nombre de témoignages, dont celui du professeur Donald M Topping, attribuent à l'ayahuasca la guérison de cancer, comparant l'action de celle-ci à une forme de chimiothérapie intelligente. Mais il faut rester prudent, car même si le sujet mérite notre attention il devrait faire l'objet de recherches pluridisciplinaires. Car il est bien évident que l'ayahuasca n'est pas une panacée universelle ni un breuvage miracle.
Actuellement l'engouement pour le chamanisme et l'ayahuasca a ressuscité le mythe d'un eldorado non pas basé sur l'or physique, mais sur l'or spirituel.
Cette illusion est dangereuse, car elle contribue au développement d'un tourisme mystique dans toute la haute Amazonie. Ce nouveau tourisme modifie les cultures indiennes, (rapports de pouvoir et de notoriété entre chamans, appât du gain, faux guérisseurs et art et artisanat de moins bonne qualité).
L'Occident, avec son manque de repères, risque fort à nouveau de desservir la cause identitaire des Indiens et leurs pratiques culturelles millénaires.

Les plantes maîtresses

L'utilisation rituelle du breuvage ayahuasca a malheureusement occulté auprès du grand public un très grand nombre de plantes curatives appelées plantes maîtresses. On regroupe sous cette dénomination un groupe de plantes le plus souvent médicinales, qui prises dans un contexte rituel se révèlent puissamment psychoactives. Certaines de ces plantes sont utilisées pour générer un large spectre d'actions sur les patients. Disparition des peurs phobiques, réveil des souvenirs anciens, affermissement de la personnalité, préparation à la prise d'ayahuasca, guérison de certaines pathologies, etc.
Comme la liane ayahuasca et l'arbuste chacruna, l'ensemble des plantes maîtresses possèdent un esprit que les curanderos appellent la madre, qui représente la mère de la plante. Dans des conditions précises de prise des plantes, le génie de celles-ci se manifeste d'abord dans les rêves sous forme le plus souvent de personnifications, puis après un certain temps et beaucoup de rigueur dans le réel sous forme d'apparitions. Ainsi une plante comme l'ajosacha peut se personnifier comme un médecin occidental, le chai qui est affilié aux esprits aquatiques sous la forme d'une sirène, le chuchuhuasi sous l'aspect d'un homme obèse et grand, le huito un homme noir et sec, le tabac un homme noir de grande taille, l'ayahuasca une vieille femme ou une femme sans tête, la chacruna un homme grand et lumineux, etc…
Voici ci-dessous une liste non exhaustive de ces plantes avec leurs identifications botaniques et leurs qualités médicinales :

 

Nishi Boains - Ajosacha
(Pseudocalyma alliaceum)

 

Kanachiari - Toé (Brugmansia Sp.)

 

- Una de gato (griffe de chat) (Uncaria tomentosa)
propriétés médicinales : antibactérien, anti-inflammatoire, antitumoral, immunostimulant. Parties utilisées : écorces.

- Maca (Lepidium meyenil)
propriétés médicinales : tonique, antifatigue, immunostimulant. Parties utilisées : racines

- Sangre de grado (Croton draconoides)
propriétés médicinales : anticancéreux, antiparasitique, cytotoxique, vasodilatateur. Parties utilisées : sève.

- Anamu (Petiviera alliacea)
propriétés médicinales : analgésique, antispasmodique, diurétique, antirheumatique. Parties utilisées : feuilles et branches.

- Ipopuro (Alchronia castaneifolia)
propriétés médicinales : antimicrobien, laxatif, anti-inflammatoire, anti-arthritique. Parties utilisées : feuilles.

- Chuchuhuasi (Maytenus krukovii)
propriétés médicinales: analgésique, antitumoral, anti-arthritique, immunostimulant, antirhumatismal, relaxant musculaire. Parties utilisées : racines et écorces basses.

- Jergon sacha (Dracontium longpipes)
propriétés médicinales: antiviral, contre les morsures de serpents, l'herpès, la diarrhée, tonique. Parties utilisées : racines.

- Ajosacha (Pseudocaymma alliaceum)
propriétés médicinales : contre le rhume, la grippe, les rhumatismes. Parties utilisées : racines et feuilles.

- Chai (Tuna puntia)
propriétés médicinales : contre les ulcères de l'estomac, la fièvre. Parties utilisées : la chair.

- Achiote ou (roucou) (bixa orellana)
propriétés médicinales : diabètes, expectorant, antibactérien, antioxydant, nutritif. Parties utilisées : feuilles.

- Pinon blanco (Jatropa curcas)
propriétés médicinales : contre les maladies gastro-intestinales. Parties utilisées : feuilles.

- Marosa (Calathea allouia)
propriétés médicinales : diurétique. Parties utilisées : feuilles et racines.

 

 

Nane - Huito (Genipa Americana)

 

La prise rituelle des plantes maîtresses

Elle requiert tout un ensemble de conditions particulières.
La diète : l'une de ces conditions est de modifier radicalement le régime alimentaire du postulant en proscrivant les graisses, le sel, le sucre, les viandes rouges, les poissons à dents, l'alcool, limitant les repas à de modestes collations.
Le postulant doit également s'abstenir de relations sexuelles.


L'isolement : la diète doit le plus souvent s'effectuer dans un abri succinct au cœur de la forêt avec le moins de contacts possibles avec l'extérieur. Pendant cette période le postulant ne sera en relation qu'avec le chaman qui lui procurera le minimum vital. Ces périodes de diète peuvent-être de durées variables allant de quelques jours à deux années.


Les préparations rituelles : celles-ci préparent le corps à la réception des plantes diètées, fumigations de tabac pour purifier les énergies corporelles (soplada) bains de fleurs, massages, cataplasmes d'argile, prières aux esprits des plantes.


Ces trois conditions sont indispensables pour donner à ces plantes médicinales classiques, une action similaire aux plantes psychotropes. Or aucun de ces végétaux ne contient réellement de principes hallucinogènes. Devant ce mystère, la science occidentale n'apporte aucune réponse. La pensée analytique et rationnelle des occidentaux, basée sur l'utilisation du cerveau gauche, préfère classer les plantes maîtresses au rayon des curiosités des curanderos amazoniens.


Effectivement, les Indiens ont recours le plus souvent dans la vie courante à un mode de pensée analogique basé sur l'utilisation intensive de leur cerveau droit. La pensée indienne est métaphorique et c'est par ce biais qu'il nous est possible de mieux comprendre le mode d'action de ces plantes. Comme on peut le voir dans les différents articles du site de l'Association SHANE, les Shipibo-conibo possèdent un langage métaphorique, (voir le discours du chef de communauté Humberto Sampayo en présentation de l'association). Leur mode de pensée va nous servir de cadre pour comprendre l'action curative de ces végétaux ainsi que la manifestation des esprits des plantes.

L'importance de la pensée métaphorique

Commençons d'abord par créer par l'intermédiaire de la pensée métaphorique des doubles analogiques de nos éléments précédemment cités. Ainsi, le corps du postulant pourra être comparé à une maison, les plantes maîtresses à des invités de marque, la diète à un grand ménage de printemps, l'isolement à une forme de disponibilité, etc. l'ensemble de ces éléments métaphoriques constituant ainsi une structure cognitive d'accueil pour les esprits des plantes.
Le postulant à la diète, " une maison symbolique "
L'on peut alors comparer le postulant à la diète à une personne qui va recevoir des invités. Dans ce cadre dièter équivaux à ranger et nettoyer son corps-maison pour recevoir ses amis. L'isolement pourrait être symbolisé par deux notions, d'abord l'attente qui précède la réception des invités puis la disponibilité, car il est évident que lorsqu'on reçoit quelqu'un on lui consacre son temps et on ne va pas vaquer à d'autres affaires. Il est intéressent de noter que ces diverses métaphores et notamment celles qui comparent les plantes maîtresses à des invités font émerger la notion de personnification des végétaux faisant entrer en résonance la structure cognitive qui lui correspond. Ce cadre de pensée métaphorique génère une visualisation de ces personnifications qui éveillent ensuite des réponses dans notre inconscient qui se manifesteront plus facilement dans les rêves du postulant disposant ainsi d'un cadre structurel.

 

Les personnifications des mères des plantes possèdent une structure culturelle

Des informations montrent que les mères des végétaux sont en rapport avec des images matricielles liées à l'image de la mère. Par exemple, la mère de l'ayahuasca est souvent décrite comme une vieille femme de petite taille à l'aspect noueux. Or les femmes indiennes d'un âge avancé, et qui représentent l'archétype matriarcal de ces communautés, ressemblent à la description de la madre ayahuasca. Ces faits semblent suggérer que les personnifications des esprits des plantes sont en étroite relation avec nos mémoires culturelles inconscientes. Il semble clair que c'est la pensée métaphorique et l'activité du cerveau droit qui favorisent l'idée même de personnifications des plantes. Ces structures culturelles inconscientes offrent un réceptacle formel pour manifester dans les rêves l'essence énergétique des esprits des végétaux.

La manifestation des esprits des plantes dans les rêves
Nombres de plantes maîtresses sont prises le soir avant d'aller se coucher.
De nombreux témoignages relatent ces expériences oniriques où les esprits des végétaux se manifestent par l'intermédiaire d'une image inconsciente. C'est le sens des rêves et leurs contenus qui permettent de reconnaître l'esprit d'une plante.

Les apparitions des mères des végétaux dans la réalité
(synchronisme entre la structure cognitive métaphorique et le réel)


Lors de diètes et de périodes d'isolement prolongées, il se peut que les esprits des végétaux fassent irruption dans le réel. Pour tenter d'expliquer ce mécanisme, il nous faut à nouveau avoir recours à la structure métaphorique. Pour résumer nos précédentes investigations, l'on rappellera que le postulant à la diète est comparable à une personne qui nettoie sa maison afin de recevoir des invités et qui se trouve dans l'attente de leur arrivée. Or dans la réalité concrète c'est bien ce que fait la personne qui diète. En effet, celle-ci en isolement dans un abri de fortune au cœur de la forêt tropicale se retrouve en synchronie réelle avec la structure mentale métaphorique qui la représente. Ainsi, son abri représente son corps et sa personnalité, et l'attention qu'il met en pratique pour attendre ses invités se dirige vers la porte d'entrée symbolique de sa personnalité qui dans le réel ouvre sur l'univers forestier. La superposition de ces deux structures mentales que représentent la métaphore et la réalité permet des échanges entre le psychique et le matériel. Car c'est autant sur son corps et la forêt que la conscience du postulant cherche du sens en interprétant ses sensations corporelles, ses rêves nocturnes, et les signes synchronistiques émanants de la forêt environnante. La plupart des personnes ayant pratiqué ces retraites forestières disent que la forêt finit par leur parler par des signes concrets en utilisant des intermédiaires animaux ou des événements comme messagers. Dans l'isolement, la forêt devient une interface de communication symbolique entre notre conscience et notre inconscient psychique et somatique qui se projettent sur l'environnement extérieur.
Alors, on peut entendre les messages des oiseaux, voir les images-esprits des animaux se manifester dans leurs représentants réels pour vous délivrer des informations ou voir apparaître les esprits des plantes au détour d'un arbre ou dans un événement synchronistique en connexion avec un rêve de la nuit dernière, etc…

Une phytothérapie participative

L'apport de la phytothérapie participative à la pharmaceutique moderne
Le mode d'appréhension des plantes par les chamans suggère une nouvelle forme de phytothérapie nécessitant un engagement et une interactivité afin d'activer de nombreuses réponses organiques et psychologiques envers les principes bioactifs des végétaux. À l'inverse de cette démarche, la science et la médecine occidentale utilisent et réduisent les plantes à une simple matière inerte avec un mode d'admission passif pour le patient. Cette passivité du patient envers le remède et ces principes actifs réduisent les effets thérapeutiques, laissant en sommeil les réponses psychosomatiques de l'individu. Pour un chaman l'approche des laboratoires de recherche est un non-sens. Tout d'abord, ceux-ci se procurent les végétaux comme des marchandises sans aucune forme de respect.
Ensuite les plantes sont broyées et l'on finit par isoler des principes actifs que de surcroît l'on imite de façons artificielles (synthétisations moléculaires). Si on applique ce traitement de faveur à la pensée métaphorique, l'on peut comparer l'action des laboratoires à un massacre inutile de nos invités, sans aucune forme de respect pour découvrir des molécules qu'ils préfèrent imiter à des fins de productivité et de rentabilité. Créant des clones sans âmes des principes actifs des plantes. Les chamans insistent sur le fait que les remèdes et préparations doivent contenir les plantes dans leur ensemble (écorces ou feuilles entières) et non d'en séparer les éléments bioactifs.

Atsa - Yuca (Manihot Sp.)

Une participation globale de l'individu

La cure et la prise des plantes initiées par les chamans nécessitent de la part du patient un engagement s'articulant sur plusieurs axes, moral, physique, psychologique, spirituel. Cette participation globale de l'individu à son traitement provoque de nombreuses réponses et résonances dans son organisme que nous allons tenter à présent de comprendre. Tout d'abord vient l'attention et l'intention qui mettent le patient dans un état de réceptivité, en attente de ses invités à l'intérieur de la maison. C'est ensuite le rôle du corps qui devient important. Effectivement, tout semble fonctionner comme si la maison était intelligente et fournissait aux invités le code d'accès de la porte d'entrée sans que le patient en soit d'abord conscient. Dans le corps les esprits des plantes vont se connecter à des mémoires engrammées somatiquement pour accéder à l'inconscient et ces schémas archétypiques. De la c'est d'abord en songes et par le rêve que les esprits vont délivrer leurs bienfaits d'abord au corps puis à la conscience réduite du rêveur sous forme de messages porteurs de sens. Dans notre vision métaphorique, la maison-corps fonctionne comme un système sachant qui accueille et reçoit les invités alors que le patient ne parle pas leur langue et ne les voit pas. Dans cette optique le corps est l'équivalent d'un docteur qui sait faire ce qu'il faut sans le mental et la conscience. Ce mode de pensée donne au patient une ouverture vers sa guérison et la rémission de la maladie en laissant la possibilité d'un espoir que l'on confie au savoir corporel. Le corps devient un allié à qui l'on reconnaît un savoir et à qui l'on confie l'accueil des invités. S'organise ensuite une véritable synchronisation par le sens des différentes sphères conscientes, corporelles, oniriques, et réelles. L'éruption de nombreuses synchronicités, dans la vie du patient font émerger à la conscience un univers interactif avec un être humain en résonance sans distinction de dedans et de dehors, de matière et de psyché, le tout étant organisé sur le sens. L'ensemble des événements synchronistique montre à la conscience du patient qu'il n'est pas seul, mais bien entouré d'alliés qui le guident et le persuadent vers sa guérison, entraînant des réponses neuro-immunitaires et organiques peut-être encore inconnues. Et ceci bien évidemment dans une logique d'alliance et d'appartenance qui génère le sentiment spirituel.

La métaphorisation des principes actifs des végétaux

La logique classificatrice des végétaux, qui est quasiment commune à tous les peuples de l'Amazonie, s'articule autour d'un système d'oppositions binaires. Les plantes sont classées selon des propriétés qualitatives : végétaux forts-faibles, chauds-froids, lents-rapides, doux-amèrs, odeurs fortes-faibles. Les qualités curatives des végétaux sont donc organisées selon ces critères qui sont le plus souvent appréhendés par des perceptions corporelles. L'action des plantes médicinales ou des plantes maîtresses, est perçue et observée par les organes des sens et par une attention accrue de la conscience sur le ressentir corporel. Ainsi, les principes actifs des plantes se trouvent jumelés à des perceptions internes de l'individu. Parmi les sens mis à contribution, il y a d'abord le goût avec le couple amer-doux, les plantes maîtresses ou psychoactives ayant pour la plupart un goût amer à l'inverse des plantes alimentaires. Viennent ensuite tout un ensemble de perceptions internes, sensation de chaleur attribuée aux végétaux chauds stimulateurs d'énergie (Sanango, Tabermaemontana sananho), sensation de froid chez les plantes qui font baisser la fièvre (Chancapiedra, Phyllanthius nirori), etc.
Des sensations d'accélérations internes, de fourmillements, des effets relaxants, des stimulations, etc…

Une communication plantes-corps

Tout semble suggérer un mode d'acquisition de la connaissance phytothérapeutique, très ancien qui ne s'adresse pas aux critères symboliques-logiques du mental et de l'intellect, mais à la sphère des perceptions et phénomènes corporels. Ainsi, il semble clair que c'est d'abord avec notre corps que les plantes ont réalisé de longue date une interface de communication biochimique en relation avec notre attention dirigée vers le corps. l'ensemble de ces perceptions génère implicitement tout un réseau de personnifications diverses qui se constellent dans l'inconscient générant les rêves contenant l'apparition onirique des mères des plantes. Ainsi, les sensations d'accélérations internes résonnent avec des images d'animaux rapides ou des couleurs vives, le tout selon une logique analogique consciente et inconsciente. Après l'absorption des remèdes, une relaxation couplée à un isolement dans un lieu obscur permet d'observer les yeux fermés tout un ensemble d'images hypnagogiques souvent en relation avec les plantes et leurs esprits.
Voici ci-dessous le récit d'une de mes expériences réalisée avec les écorces du chuchuhuasi :


Lundi 15 décembre 2003, il est 23 heures. Prise du chuchuhuasi dont les écorces ont préalablement macéré pendant un mois dans de l'alcool. Je filtre le breuvage afin d'en remplir le quart d'un petit verre. Le liquide rouge et translucide, son goût est amer et âcre. Quelques minutes plus tard je m'allonge dans l'obscurité et dirige mon attention sur mon corps.
Après une demi-heure, mes muscles semblent relaxés. Je sens alors dans ma mâchoire inférieure comme un courant électrique qui parcourt mon visage. La sensation semble se situer sous la peau. Parallèlement, des images hypnagogiques surviennent à ma conscience. Tout d'abord des formes rondes puis des silhouettes rondes, puis des visages qui apparaissent sous forme de petites explosions. La nuit qui suivit mon sommeil fut agitée car perturbée par la puissante énergie du breuvage. Je me suis souvenu à mon réveil d'un rêve avec un grand et gros personnage barbu qui me fait penser à un ogre ou un forestier.


Ce témoignage montre qu'avec une certaine attention il est possible de percevoir toutes ces métaphorisations des principes actifs des plantes. Il est particulièrement intéressant de savoir que le chuchuhuasi est un des arbres géants de la canopée ce qui pourrait expliquer ces formes toutes en volumes et les personnifications à l'apparence d'homme grand, gros et fort en relation avec la forêt.
Le système de classification indien des végétaux est réellement efficient, car il en est pour preuves les diverses analyses phytochimiques ayant été réalisées sur les plantes des curanderos.
Ces recherches récentes ont mis en évidence chez ces végétaux un nombre très important de principes actifs. Certaines de ces plantes, pour prendre une métaphore moderne sont de véritables usines phytochimiques pouvant couvrir un large spectre de pathologies.
Voici ci-dessous trois de ces analyses :

Analyses phytochimiques du Una de gato, du Chuchuhuasi, et de l'Anamu

Anamu (Petiveria alliacea) : Allatoin, Arborinol, iso Astilbin, Benzaldehyde, Benzoic-acid, Benzyl-2-hydroxy-5ethyl-trisulfide, Coumarin, Dibenzyl, Trisulfide, Engeletin, Friedelinol, Alpha, Isoarborinol, Isoarborinol-acetate, Isoarborinol-cinnamate, Isothiocyanates, Kno3, Leridal, Leridol, Leridol-5methyl Ether, Lignoceric Acid, Lignoceryl Alcohol, Lignoceryl Lignocerate, Linoleic Acid, Myricitrin, Nonadecanoic Acid, Oleic Acid, Palmitic Acid, Pinitol, Polyphenols, Proline,transn-methyl-4methoxy, Senfol, Sitosterol, beta, Stearic Acid, Tannins, Trithiolaniacine.


Chuchuhuasi (Maytenus krukovii) : 22-hydroxytingenone, 6-Benzoyl-6-deacetylmayteine, Catechin tannins, Maytansine, Mayteine, Maytenin, Mebeverine, Phenoldienones, Pristimeran, Proanthocyandins, Tingenone.


Una de Gato (Uncaria tomentosa) : 5alpha-carboxystrictosidine, Acetyluncaric-Acid, Adipic-Acid, Alloisopteropodine, Allopteropodine, Angustine, Campesterol, Carboxystrictosidine, Catechol, Catechin, DL-Catechol, Catechutannic Acid, Beta-sitosterol, Corynantheine, Clo 'noxeine, Dihydrocorynantheine, Dihydrocorynantheine-n-oxide, Dihydrogambirtannine, Ellagic Acid, L-Epicathechol, Epicathechin, Gallic-Acid, Hanadamine, Mrsutine, Hirsuteine, Hirsutine-N-Oxide, Hyperin, -Ajmalicine, Isocorynozeine, Isomitraphylline, Isopteropodine, Isorhyn-chophylline, Isorhynchophylline-N-Oxide, Isorotundifoline, Ketouncaric-Acid, Nfitraphylline, 1-Methoxyyohimbine, Oleanolic-acid, Ourouparin, Oxogambirtannine, Pteropodine, Quinovic-acid-3beta-o-(Beta-d-glucopyranosyl beta d-glucopyranosyl-ester, Quinovic-acid-3beta- o-beta-d-fucopyranoside, Quinovic-acid-3beta-o-beta-d-quinovopyranoside, Rhynchophylline, Rotundifoline, Speciophylline, Stigmasterol, Uncarine, Uncarine-f, Ursolic-acid

L'approche moderne de la pharmaceutique et de la phytothérapie semble trop restrictive. L'application de la méthode précédemment explicitée, devrait permettre de réaliser une nouvelle approche pharmaceutique. Il serait intéressant que des phytothérapeutes, des homéopathes, des naturopathes et des médecins traditionnels tentent d'appliquer ces exercices d'attention dirigé sur le corps et de métaphorisation des remèdes afin d'observer et de comparer les résultats avec des phytothérapies administrées selon une méthode traditionnelle. La sacralisation et la personnification des plantes à travers la notion d'esprits des végétaux devraient ouvrir de nouvelles voies. Cette nouvelle phytothérapie participative est intéressante à plusieurs niveaux, celui de la santé de l'individu, mais aussi en permettant de valoriser et de conserver les savoirs natifs, et à long terme de protéger ces plantes extraordinaires d'une disparition certaine générée par la déforestation massive de la forêt amazonienne. En valorisant ces plantes et ces thérapies indigènes auprès du grand public l'on pourrait réaliser avec les Indiens de véritables réserves forestières ou seraient cultivées de manière écologique et naturelle ces plantes maîtresses dans un écosystème sauvegardé. La conception d'un tel " capital vert " pourrait générer des emplois, une activité économique saine en partenariat avec les curanderos et les communautés indiennes (création de " laboratoires " autonomes de récolte et de conditionnement traditionnel des plantes), une nouvelle approche thérapeutique, et enfin une sauvegarde globale de l'écosystème de la forêt primaire.
Même si le projet peut paraître ambitieux, il n'est pas pour autant utopique. Certaines associations au Pérou, que nous saluons pour leurs actions, ont déjà mis en place à petite échelle un certain nombre de structures.

Toutes les plantes ont une mère

La croyance aux esprits des plantes n'est pas propre aux seules ethnies du bassin de l'Amazone.
Celle-ci se retrouve partout ou demeurent des populations natives en symbiose avec leur environnement. Cette conception des végétaux semble universelle, et tous les savoirs traditionnels décrivent ces entités. Les chamans Shipibo-conibo disent que toutes les plantes ont une mère, la phytothérapie participative pouvant donc être réalisée avec toutes les plantes médicinales connues. Il est pour exemple la sauge officinale qui bien connue dans nos régions pour ses qualités aromatiques représente pour les tribus Sioux la plus puissante des plantes maîtresses.
L'on pourrait donc en conclure que l'appréhension des esprits des végétaux s'appuie sur une logique cognitive métaphorique qui fait malheureusement défaut dans notre société dite moderne
(décembre 2003)

Copyright © Romuald Leterrier

 



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