La culture Shipibo-Conibo

L'art de la femme shipibo

Dans les communautés shipibo-conibo des rives de l'Ucayali, qui serpente à travers la forêt amazonienne, la maison familiale est un petit atelier fonctionnel. Là , l'industrieuse femme indienne travaille chaque jour à la création de céramiques ,de broderies ou de peintures des tissus et à leur confection. Dans chaque cas c'est un stupéfiant témoignage de l'ancestrale culture de ce peuple. La majeure partie du talent créatif de la femme shipibo s'illustre dans la confection textile. L'ornementation colorée et dessinée constitue l'expression la plus caractéristique de cette ethnie. On utilise des techniques très anciennes pour fixer les dessins sur les tissus. Les pinceaux sont efficacement remplacés par des éclats de roseaux ou d'os d'animaux et des arêtes de poissons. Des pigments naturels mélangés avec de l'argile servent à l'élaboration de ces peintures. Lorsque l'on se trouve en face d'une pièce d'artisanat shipibo, en particulier pour les tracés géométriques qui sont si caractéristiques, grâce auxquels, par ailleurs, on peut facilement les identifier, il faut se souvenir que, sous une apparente ressemblance , les dessins sont chaque fois différents d'une maison à une autre.

Traduit de la Grande Encyclopédie de l'Ucayali


 

 

 

LE GRAPHISME DÉCORATIF DU PEUPLE SHIPIBO-CONIBO

La pensée shipibo est métaphorique, elle procède par analogie et établit un lien étroit entre toutes choses. Les dessins qui ornent les poteries et les divers objets de leur artisanat, des broderies de leurs vêtements traditionnels à leur maquillage lors des fêtes et cérémonies, relèvent d'une représentation de maillages, de réseaux, de labyrinthes propre à leur culture. Le graphisme de l'artisanat correspond aux dessins dont est ornée la peau de l'anaconda. Pour les Shipibo, l'anaconda est à l'origine de la création et représente l'esprit de l'eau.
Dans le chamanisme de la région de l'Ucayali, on désigne les dessins des broderies et des décorations par le nom de "Ronin" qui signifie l'anaconda. On peut penser que ce symbole correspond à l'origine du vivant. Ces dessins sont très spécifiques de ce peuple de la forêt amazonienne. Transmis par imitation, de génération en génération, on pourrait penser à un langage permettant aux Shipibo de communiquer entre eux ou de se reconnaître comme appartenant à la même ethnie. Lorsque l'on regarde avec attention ces dessins très typés, lesquels sont à chaque fois différents, variés à l'infini par leurs auteurs, on est frappé par l'aspect vibratoire de l'ensemble de chaque representation. Ceci est rendu particulièrement sensible au niveau des broderies et des tissus peints qui nous font découvrir de véritables tableaux abstraits,sauf si l'artisan, et j 'aurais plutôt tendance à dire l'artiste, inclut la représentation d'un animal ou des formes géométriques précises. A l'origine, les dessins étaient tracésà angle droit, alors qu'actuellement on utilise aussi les courbes. Ces variations qu'apporte chaque personne dans la réalisation de l'ensemble de chaque décor des broderies ou des peintures reflètent bien évidemment le monde intérieur de l'artiste à travers son vécu au moment du tracé. On peut aussi penser que l'aspect vibratoire du résultat final est une résurgence du monde, ô combien mouvant et vibrant, auquel accèdent les Shipibo dans leurs visions lors de la prise de la plante psychotrope Ayahuasca, pratique pour eux assez courante, séculaire et donc inscrite dans leur mémoire cellulaire. Il est intéressant de préciser que ces dessins se font à main levée et que l'on ne suit pas un modèle préétabli, comme dans l'art de la tapisserie où l'on copie un carton, ou bien la broderie européenne où des dessins et des points sont souvent reproduits et donnent des résultats d'une grande perfection. A travers une certaine imperfection dans la réalisation des "œuvres" de ce peuple on peut en déduire une indifférence envers la perfection et une insoumission à un modèle imposé, qui rendent ces ornements frémissants de vie.


On pourrait comparer cette façon d'aborder leur art à celle des jazzmen ou de tout musicien qui improvise, qui se soucie plus de ce qu'il vit dans l'action, "du faire", plutôt que dans la recherche de perfection de l'interprétation d'une œuvre écrite, pensée par un compositeur. Ce peuple de chasseurs - pêcheurs a toujours vécu au jour le jour, préoccupé par le souci de trouver sa nourriture journalière, vivant dans l'instant présent, ne se projetant guère dans l'avenir. Sans doute que vivre dans le présent, confronté aux nécessités prioritaires de survie, aiguise l'attention à l'environnement mais aussi incite davantage à "être", plutôt qu'à se projeter dans des désirs futurs. Leur tradition est orale, que ce soit leurs chants, leurs danses, leur artisanat, leurs mythes ainsi que leur connaissance très étendue des plantes médicinales, acquise au cours de siècles d'expérience et de recherche, et c'est bien là ce qui fonde leur identité.
Ce sont les femmes qui exécutent les travaux d'artisanat (broderies, poteries, bijoux, décorations…) et de jardinage, alors que la peinture et la sculpture sont plus le fait des hommes. Dans les sociétés communautaires primitives, les femmes avaient donc un rôle de transmission du savoir et de la création, un rôle de gardiennes de la création et des créatures, tandis que les hommes avaient un rôle d'action (chasse, pêche, guerre…).Cette répartition des rôles donnait une société équilibrée. L'art de la poterie est le fait des "anciennes". A l'origine, les grandes poteries anthropomorphiques étaient des urnes funéraires. Cette situation perdure dans les communautés où les femmes gardent la coutume des travaux d'art. Mais, tout en n'étant pas considérée comme subalterne, cette place dans la société les met en porte-à-faux avec la réalité présente, dans laquelle la nécessité fait loi, et où ,bien sûr, se livrer à un travail artistique non rentable équivaut à développer une sorte de paresse, un sentiment d'inutilité. Ceci crée nombre de malentendus entre les communautés shipibo et les métis qui, en tant que réfugiés la plupart du temps, sont dans un processus d'acculturation largement entamé.


Peinture réalisée par : Arnulfo Arevalo

Peinture réalisée par : James Arevalo

Hélas, le rouleau compresseur de la mondialisation risque bien de détruire tout cet acquis artistique et culturel. Certaines congrégations religieuses aident matériellement ces peuples de la forêt mais, par contre, elles dénigrent et diabolisent leur culture ancestrale sans aucun respect pour ce qui les rend fiers d'être ce qu'ils sont, alors que leur propres valeurs sont souvent proches de celles développées dans les religions. Elles développent ainsi chez eux des sentiments de honte, de culpabilité à s'exprimer par leur propre culture et leur font perdre leur identité et leur joie de vivre.
Le soir, des groupes de musiciens et chanteurs convertis se réunissent dans les églises de la communauté et, souvent, accompagnés par des guitares et des contrebasses électriques, chantent des cantiques et parfois des mélodies du répertoire traditionnel shipibo dont on a remplacé les textes originaux par des textes à fond religieux. En somme, une sorte de rock divin remplace la musique des fêtes traditionnelles et des rites initiatiques!!!
Les chants traditionnels sont souvent très poétiques avec des métaphores, de l'humour et ils expriment toute la gamme des émotions du vécu des indiens de la forêt à travers un répertoire très riche. Berceuses, chansons d'accueil, de fête, chants de guérison, d'amour, de travail, de louange à la nature ou à la joie de vivre. Très souvent les textes, en rapport avec le contexte (accueil, fêtes, berceuses, etc…) sont improvisés et expriment l'imaginaire de chacun.
Le drame est que toute tradition orale qui n'a pas été préservée de disparition par l'écrit est appelée à disparaître définitivement, or si cette tradition est celle des Shipibo , elle fait aussi partie de notre patrimoine mondial. En cela il est urgent de prendre en compte la préservation et la valorisation de ces richesses culturelles.
Par ailleurs , la culture traditionnelle du peuple Shipibo-Conibo sert de fondement à la culture moderne de l'Amazonie. Dans La Grande Encyclopédie de l'Ucayali est émit l'hypothèse que le système culturel complexe des indiens d'Amazonie serait essentiellement chamanique et que la clef de voûte de ce système serait l'Ayahuasca, la plante mère de toutes les plantes médicinales de la Selva.
Dès l'aube du peuplement amazonien les cultures et civilisations anciennes font interagir le monde matériel avec le monde spirituel avec comme intermédiaire et comme stimulant l'Ayahuasca.

Ainsi naquirent rituellement les mythes des origines, les chants et les danses, la pensée et la connaissance indigène sur la nature à travers la perception du génie des plantes sacrées, entre autres l'ayahuasca, la chacruna, le chuchuhuasi et bien d'autres plantes médicinales et psychotropes. Dans cette matrice se développent toutes les possibilités d'un art et d'une culture amazonienne. Pour les artistes et les créateurs actuels de Pucallpa ou de la région de l'Ucayali, le point de départ est cette matrice Shipibo-conibo, sans exclure d'autres sources indigènes. Mais cette source d'inspiration n'est qu'un point de départ, seulement un référent culturel et artistique et, en aucune manière un modèle à imiter. On peut imaginer, pour un peintre, la stimulation provoquée par l'investigation, la connaissance, la révélation de toute la technique ancestrale des arts de la poterie et des tissus brodés ou peints des Shipibo- Conibo. Les femmes indiennes ont une inspiration de source magique , selon l'explication du chaman Guillermo Arevalo : "Les Shipibo-Conibo non seulement apportent à la création de la culture amazonienne moderne leur extraordinaire connaissance et compréhension de l'écosystème fluvial mais encore la représentation
de cet univers dans sa dimension symbolique… " En accord avec cette version la légende dit qu'un couple qui fonda la race Piro vint de la région de l'Urubamba et apprit aux femmes shipibo à tisser et à broder. Il existe une connaissance ancestrale, qui se pratique toujours, qui est celle de l'utilisation d'une des 60 variétés de piripiri, une autre plante médicinale. Selon la tradition, les mères mettent une goutte de piripiri dans les yeux de leur fille dès la naissance. Le piripiri ayant un esprit mère, en tant que plante maîtresse, donnent aux petites filles
des songes d'oiseaux, d'anacondas, de fleurs et d'étoiles avec tout le bestiaire symbolique et les tracés linéaires qui apparaissent ensuite sur les céramiques et les tissus. Ce graphisme est un des traits distinctifs des shipibo". D'autres caractères distinctifs sont à noter tels que : l'ignorance de l'usage du hamac, le port par les hommes de grandes tuniques de coton décorées et la déformation crânienne par aplatissement du front dès la naissance ".

 

Les chants

 

L'ethnomusicologue Bernd Brabec de Mori nous donne ces précisions: Au niveau de la forme des chants de ce peuple on peut en distinguer trois catégories:
1/ Masha (chant dansé en groupe circulairement) L'ultime phrases de la strophe se répète obstinément, parfois en accélérant à la fin.
2/ Shiro bewa (chant solo ou en groupe) Chant de "bonne vie", en buvant le masato, sur l'amour, sur des drôleries. Une forme spéciale est "kopiananti": deux personnes (ou deux groupes) se répondent l'une à l'autre, parfois en improvisant, parfois en s'insultant par des plaisanteries.
3/ Bewa (chant seul) Bewa a plutôt le caractère de la romance, chanté en solo. Certains chanteurs ont la capacité d’improviser en rimes sur les circonstances ou les lieux qui les inspirent : par exemple : « un couple m’a amené pour célébrer la douceur » , « écoutez bien mon chant pour vous souvenir quand je ne serai plus là »… Les "Icaros" sont des chants de guérison appris à travers les visions, les rêves ou par transmission orale et font partie de cette catégorie.

Réalisations pour la sauvegarde culturelle

Deux DVD à caractère musical avec la participation des chanteurs traditionnels shipibo-conibo-shetebo.
Des vidéo-conférences, des expositions, des animations en milieu scolaire, octroi de bourses d'études et parrainages.

 

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Donaldo Campos Rodrigez, en shipibo, Mokan Rono de la communauté
de "Calleria" a 38 ans. Il est un des meneurs des activités musicales,
festives et rituelles de la communauté.



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